Avant de devenir l’un des plus grands charniers de la galaxie, l’IGS Ishimura était le plus important brise planète jamais conçu par la race humaine. Sa mission consistait à aider l’installation de colonies minières à la surface de planètes inhabitées et d’extraire toutes sortes de métaux des différents aérolithes cosmiques flottant dans les orbites périphériques de lointaines étoiles. Plus d’un milliers de techniciens travaillaient en permanence à son bord. Plus qu’un simple vaisseau, le gigantesque Ishimura était une véritable ville mobile, équipée de toutes les commodités nécessaires à des explorations de longue haleine d’un bout à l’autre de la galaxie. Mais la rencontre du gigantesque astronef avec une obscure planète comble de reliques extraterrestres toutes disposées à se laisser extraire par des mains trop curieuses va venir « bouleverser » la petite rengaine des colons/mineurs confiants. Et évidemment, une fois le contact rompu, une fois la catastrophe non plus sur le point de survenir mais presque déjà advenue [dans l’imaginaire collectif, la catastrophe porte toujours la marque de l’imprédictibilité – lègue de cette foutue Pandore à qui on avait pourtant bien spécifié de ne pas ouvrir la boîte !], c’est à une petite équipe d’ingénieurs patrouillant dans le périmètre d’un système voisin que l’on confiera la mission d’aller enquêter sur les déboires [bénins, croit-on dans les hauts-lieux de la compagnie mandataire dont les pontes n’ont manifestement jamais lu un scénario de jeu vidéo – les crétins] qui pollue le dispositif radio du monstrueux rafiot. La chaloupe en toile grège que l’on dépêche pour renflouer le Titanic. Parce qu’à l’évidence il ne s’agit nullement d’une simple panne d’émetteur comme le laisse supposer une lecture superficielle de la situation [on ne mobilise pas une équipe de développeurs de jeux vidéo pour demander à un ingénieur d’aller mettre un coup de clef de douze sur un solénoïde]. L’Ishimura a été le siège d’une entreprise de colonisation sauvage par l’organisme extraterrestre récupéré sur la planète autour duquel la forteresse est en orbite, un organisme qui a rapidement pris possession d’une partie des corps de l’équipage et décimé le reste. Ce que l’histoire ne suggère pas encore mais ce que votre présence derrière l’écran impose, c’est qu’une sorte de Sport-Billy est à bord du dit esquif et que ce dernier supervisera à sa manière pour le moins expéditive l’intégralité de la mission de sauvetage… Voilà l’impératif catégorique autour duquel s’articule la superstructure de nos loisirs interactifs ; la force imprescriptible du héros vidéoludique et son immortalité avérée qu’ignorent encore les artisans du cataclysme qui a ravagé les ponts de l’Ishimura. Isaac Clarke, l’homme qui valaient trois bons milliers de cadavres… Pauvres bêtes, murmure par avance le démiurge…
Shodan last show down ?
Si nous nous sentons tenus de faire souvent référence à la série
System Shock au cours de cet article, c’est que les développeurs de
Dead Space n’ont pas hésité à opérer quelques ponctions dans les bases jetées par la franchise sus-citée. Des emprunts qui font immédiatement saliver lorsque l’on aborde les premières minutes du jeu. Si la trame de chaine du scénario principal pêche plutôt dans les eaux d’Arthur C. Clark et de son fameux monolithe [en une désinence un peu plus pittoresque et passablement manichéenne de 2001 – et où s’entrecroisent des révérences de séries B infiniment moins prestigieuses, avouons-le], dans le déploiement de leurs résurgences internes, les missions qui seront confiées à ce héros improvisé, Isaac Clarke, ingénieur manifestement spécialisé dans le maniement des armes de destruction massive, reprennent très exactement les fils de celles qui conduisaient le personnage principal à l’intérieur de la Citadel de Shodan ou du Van Braun de Xerxes dans chacun des deux opus de la série initiée par feu
Looking Glass en 1994. La narration se structure ainsi en différents chapitres implicites [le découpage est même explicite pour ce qui concerne
Dead Space] lesquels s’essaiment avec une rigueur parfois affligeante à mesure que l’intrigue progresse dans les entrailles du vaisseau dévasté : comprendre ce qui s’est passé à l’intérieur de l’immense navire, rassembler d’éventuels survivants [peine perdue d’avance], identifier la traîtrise des uns et la loyauté des autres [une constante récurrente depuis Alien], réparer ce qui est nécessaire à la progression de l’intrigue, qualifier la nature réelle de la menace, contrer le péril que l’entité adverse fait planer sur la survie du genre humain puis organiser la fuite du héros [lequel n’imagine pas passer le reste de sa vie à errer dans les décombres d’une ruine dérivant dans un coin perdu de la galaxie – comme on le comprend !]. Aux détails, ces objectifs se déclinent de la même façon qu’ils se déclinaient dans
System Shock : réactiver des ascenseurs afin de pouvoir prolonger l’exploration de l’astronef, obtenir des cartes d’accès sur les cadavres encore tièdes des différents factotums locaux [et protagonistes malchanceux d’une scène de carnage antérieure], mettre au point un virus permettant d’éradiquer les ressortissants de l’engeance extraterrestre, rediriger une antenne radar afin de demander des secours, etc… Si la parenté avec
System Shock est absolument indiscutable lorsque l’on considère le texte de l’intrigue, des divergences commencent à apparaître dès que l’on aborde les spécificités intrinsèques de la narration et la façon dont cette dernière se déploie.
Melancolia Balneum Diaboli ? Oui et alors ?
Si l’on passe on crible l’intégralité des scénarii de films de science fiction dont
Dead Space s’inspire, on retrouve presque toujours la même structure narrative. Avant que la réalité de l’affrontement avec le mal radical n’envahisse l’espace de la perception, les films font la part belle à une longue phase de suggestion fantasmagorique, où l’apparente tranquillité d’un lieu considéré comme sain et familier s’émaille progressivement d’indices chargés de peindre les figures du cauchemar sur la toile de l’imagination. Cette phase de suggestion se retrouve tout autant du côté des classiques [The Thing de John Carpenter, Alien et ses multiples descendants] que du côté des petites séries B sans grandes prétentions [on pense notamment au Virus de John Bruno]. Les concepteurs de
System Shock avaient bien compris la fonction de cet impératif de relaxe et le jeu, en marge d’une hostilité de tous les instants, vous imposait de creuser dans les strates nébuleuses de son scénario [et notamment de comprendre ce qui était advenu de l’équipage du Von Braun ou de Citadel] afin d’appréhender les intentions et les faiblesses de votre ennemi. Et le premier écueil sur lequel butte
Dead Space, en dépit de ses indéniables qualités, c’est de ne pas avoir pris conscience de la nécessité de grader la part prise par le joueur dans cette tragédie dont il représente en quelques sortes non pas le point culminant, mais le témoin cathartique. A peine aurez-vous posé le pied sur l’Ishimura que l’abomination vous sera brutalement jetée au visage. Passé le pont d’envol et le vide inquiétant de la salle d’attente, il vous faudra immédiatement prendre vos jambes à votre cou, pourchassé par une horde de mutants tout disposés à se régaler de vos organes internes. La période de sérénité anxiogène qui sert de contrepoint nécessaire à l’émerge de l’horreur ne dure guère plus de deux minutes dans
Dead Space. Le crescendo d’indices soulignant l’imminence de la rupture et servant de liant entre la catastrophe collective antérieure et la singularité d’une narration au présent consiste ici en un violent arpège : une créature sans forme surgit des gaines d’aération et foudroie votre collègue dans les ondoiements d’une lumière diffuse. A partir de là, la psychose d’une mort violente [pour reprendre la terminologie bien connue de Hobbes] ne cessera de vous hanter jusqu’à la fin du jeu. Il y a là assurément une faille regrettable dans le processus narratif. Le scénario s’impose d’emblée dans sa totalité ; la brutalité de sa révélation nous empêchera ensuite de nous intéresser vraiment aux détails de l’horreur dont ont été victimes les passagers de l’Ishimura, laquelle horreur, comme dans
System Shock et plus récemment
Bioshock nous sera comptée au travers d’enregistrements et de rapports laissés par l’équipage en déroute. A ceci il faut également ajouter que ces témoignages manquent de consistance et choient parfois dans une excentricité un rien caricaturale [la VF n'est pourtant pas sujète aux pires récriminations] ; les cadavres jonchent les ponts, les gerbes de sang maculent les parois du navire, mais on peine à suivre la trace de ces personnages pour le moins insignifiants et qui furent les acteurs de cet immense naufrage. Au vrai, immédiatement focalisé par les problèmes soulevés par notre propre survie, on finit par ne plus se soucier ni de ce qui se passa « avant », ni de qui se prépare dans la trame de cet « ensuite » qui ne semble précisément pas avoir de suite. Une constatation pour le moins déplorable…
Des Failles sur les moirés de la Faïence
L’autre défaillance dans le processus narratif est à mettre au compte de la construction de la grosse dizaine de niveaux que compte le jeu. Inutile de s’appesantir sur une phase d’exploration qui rendrait justice aux objectifs que l’on vous soumet et qui viendrait étancher l’envie de découvrir les détails profus d’un scénario passionnant ; peu d’alternatives sont généralement offertes à votre soif d’investigation et il suffit le plus souvent d’avancer bien sagement par la seule issue possible, de traverser une pièce puis une autre avec le même souci d’éradication consciencieuse, pour atteindre l’oméga du niveau concerné et se saisir du sésame tant convoité. De plus le cadastrage de l’intrigue verrouille la possibilité de passer d’un niveau à l’autre comme c’était le cas dans
System Shock où les retours en zone déjà explorées étaient rendus nécessaires par les inextricables ramifications de l’intrigue ; ici vous n’êtes pas libre d’appréhender la menace que l’on vous oppose en fonction de vos propres réflexions ou de vos propres prédilections. Vos acolytes régentent vos objectifs tout autant que la géographie des lieux restreint vos déplacements. Cette linéarité porte assurément préjudice à l’immersion tant elle réduit la part d’horreur que l’imagination prête ordinairement à l’inconnu. La prégnance de la main invisible qui nous guide est telle que l’on prête d’ailleurs rarement attention aux détails des missions eux-mêmes, aux résurgences scénaristiques qui les sous-tendent, assurés que nous sommes de trouver ce que l’on cherchait au bout du dernier corridor du niveau concerné et que le scénario nous fera alors la grâce d’un autre point focal sur lequel nous concentrer. On avance avec une confiance aveugle dans la sûre continuité d’une intrigue aux yeux de laquelle nous ne sommes qu’un outil d’effectuation privilégié. Les obstacles auxquels l’on vous confronte [typiquement, des portes fermées] trouvent leur résolution à portée de souris, dans un renfoncement de la pièce où l’obstacle gît. On est ici bien loin de la structure ouverte des niveaux de la série
System Shock où il fallait déployer une ingéniosité méticuleuse afin de contrecarrer les impédimentas inhérents au scénario ; explorer le cyberspace à la recherche d’un code d’accès ou partir en vadrouille à l’autre bout de la forteresse spatiale en quête d’un mail décisif. Cette linéarité fonctionnelle se retrouve sous une forme encore plus fruste dès lors que l’on aborde la façon qui nous est offerte de résoudre chaque difficulté. Contrairement à ce qu’annoncent les très bonnes dispositions prises par les développeurs en termes de mécanismes de jeu, il n’y a jamais plusieurs moyens de contourner un problème. On se souvient que
System Shock soumettait toujours une pléthore de solutions fonction des affinités électives de chaque individualité : le pirate hackait les systèmes de sécurité là où l’enfonceur de porte sortait la matraque… Dans
Dead Space chaque lieu possède sa cohérence interne, la solution et l’équation se tiennent compagnie par delà la barrière du péril, et le joueur se retrouve rarement dans une situation où il doit revenir en arrière ou pousser plus avant, par un éventuel chemin de traverse, afin de lever le verrou d’une difficulté. Et comme le héros, dépourvu des capacités de mobilité les plus élémentaires est résolument incapable d’enjamber une rambarde ou de sauter par-dessus une rigole… Si cette réalité simplificatrice écorne le processus d’immersion c’est surtout que l’Ishimura finit par ressembler à un bac à sable artificiel, hérissé de murs invisibles, et non plus à un lieu naguère normal investi par une forme de vie carnassière et aberrante à laquelle nous apportons la contradiction offensive de notre présence ; une succession de points charnières chargés uniquement de stimuler notre plaisir immédiat et prétextes à des scènes de carnage d’une violence inouïe. Comme on s’en doute la rigidité de l’ossature topographique des lieux fournit l’alibi idéal à l’émergence d’innombrables scènes scriptées, dont l’effet de surprise est largement atténué par leur recrudescence ; c’est au fond d’une interminable coursive dont les lumières cillent sous l’œil des ténèbres complices que le piège est toujours tendu… On reconnaît ici la marque contraignante d’un genre particulièrement dirigiste, celui du
Survival Horror. Le jeu aurait toutefois gagné à placer ses facultés anxiogènes sur un sentiment de perdition plutôt que sur ces effets de surprises grandiloquents…
De Clark Kent à Isaac Clarke
La sclérose à laquelle confine la construction scénaristique est d’autant plus regrettable qu’un soin tout particulier à été apporté aux mécanismes de jeu. Le système de combat, centré sur l’écuissage des membres de vos colocataires extraterrestres, s’il manque un peu à se renouveler au cours de la partie, fait néanmoins des merveilles. Considérant la disproportion entre le foisonnement des adversaires et la manne malingre des cartouches que vous serez susceptible de ramasser au gré de vos pérégrinations dans les cales de l’Ishimura, la préservation de votre arsenal offensif sera bien souvent votre principal souci. A la sortie d’une luxuriante invasion de créatures hideuses on se retrouve souvent calfeutré dans l’angle obscurci d’un corridor, à compter, la gorge serrée et le souffle court, les rares cartouches qu’il nous reste. Inutile donc de viser à l’aveugle sous peine de pénurie précoce de munitions ; le tireur économe aura plutôt l’élégance de cibler tout ce qui a plus ou moins l’aspect d’une excroissance ou d’un tentacule. Chaque arme [il y en a une demi douzaine dans
Dead Space, du Cutter à Plasma au Lance flamme] possède un tir alternatif qui peut s’avérer particulièrement dévastateur en certaines circonstances ; de plus les armes sont toutes susceptibles de subir moult améliorations en termes de dommages, de capacité ou de temps de rechargement, des améliorations disponibles via la dilapidation de précieux points de force auprès des machines consacrées. Ne pouvant obtenir la quintessence de chaque bouche à feu, il faudra ici opter pour la diversité ou la spécialisation. La saine immixtion d’une composante rôlesque, pourrait-on dire… A ceci près que celle là est condamnée à rester inaboutie puisque contrairement aux jeux de
Looking Glass et d’
Irrationnal Games dont
Dead Space prétend s’inspirer, les créatures qui grouillent dans le ventre lacéré de l’Ishimura se réclament toutes de la même stratégie d’élimination et aucune arme ne se révèle fondamentalement plus efficace contre un type d’ennemis plutôt que contre un autre. Dommage… Parmi les autres idées « novatrices » mises au point par les équipes d’
Electronic Arts, on note les bottes gravitationnelles qui équipent votre combinaison, lesquelles bottes vous permettront, dans les zones dépourvues de gravité, de prendre appui et de marcher sur toute géométrie de parois. Idéal pour se faufiler d’un pont à l’autre par les béances creusées dans la coque ! Si ce surcroit de liberté semble au premier abord rafraichissant [les scènes dans l’espace sont absolument bluffantes], il tranche un peu sur la mobilité réduite de cet empoté d’Isaac Clarke pour qui une caisse représente un obstacle infranchissable ! Deux pouvoirs spéciaux donnent également lieu à des réjouissances périphériques [et parfois absurdes : devoir déplacer par tékékinésie des débris qu’un enfant de quatre ans parviendrait à enjamber…], la télékinésie et la stase, laquelle vous autorise à ralentir pendant un certain temps la célérité de certains objets. Forts de ces deux trouvailles les développeurs ont concocté quelques énigmes qui vous détourneront temporairement des sempiternelles séances de bastringue auxquelles vous confie l’hostilité permanente de votre environnement. La façon dont on récupère les objets nécessaires à notre survie ressemble également à ce que proposait
System Shock en son temps [également repris par le
Bioshock de Ken Levine – le père de
System Shock 2, faut-il le rappeler]. Plutôt que de vous laisser l’opportunité un rien incongrue de récupérer des armes ici ou là, il vous faudra acheter ces dernières ainsi que leurs minutions aux postes de stockage après avoir récupéré les schémas idoines dans l’épave de l’Ishimura. La levée d’une bizarrerie entraîne hélas l’émergence d’une incongruité pas moins farfelue puisque c’est sur les cadavres des créatures extraterrestres que vous récupérerez les fameux crédits nécessaires à l’approvisionnement de votre artillerie. On se demande où et pourquoi les ressortissants de Tau Ceti V [à l’improvisade, le nom de la planète m’échappe] ont pu bien glaner de quoi s’offrir magazines érotiques et canettes de soda…
Atmosphère, atmosphère, est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ?
Autre raison de maudire le conservatisme avec lequel les développeurs ont choisi de conduire l’intrigue, l’atmosphère fabuleuse qui se dégage du titre. Il serait ici très injuste de bouder le plaisir pervers que l’on prend à parcourir les coursives ténébreuses de l’Ishimura. Si la narration pèche tout à la fois par excès de dirigisme et par excès de sympathie avec les effets horrifiques qui assaisonnent son scénario, si l’immersion pâtit de l’exigüité des niveaux, la réalisation technique magistrale impose immédiatement son sceau de perfection. La violence sans commune mesure du titre profite autant de la caméra astucieusement placée au raz de l’épaule du personnage que des giclées sanguinolentes qui ponctuent vos actions d’éclats. Et au milieu de ce déluge de viscères dilacérés l’interface a le bon goût de se faire discrète.
Definitly not rated for teens ! La modélisation admirable des espaces traversés [même si on regrette de n’avoir pas davantage la sensation de familiarité, pas de chambres, de réfectoires ni de salles de jeu – rien qu’une incontournable visite aux cabinets d’aisance] laissent tout autant pantois que le soin apporté à la cinétique des créatures. De multiples excroissances organiques jaillissent de leurs gueules pleines de crocs, les aiguillons greffés à leur bras vous transpercent et vous déchiquètent dans une orgie festoyante d’hémoglobine, des membres couverts de bubons sanguinolents volent aux quatre coins de pièces couvertes de débris et de résidus vaguement humains… La mise en scène de vos « fins prématurées » sont notamment d’une barbarie absolument désopilante [ou glaçante, c’est selon]. Les amateurs de
gore saliveront là où les non initiés rendront assez vite leur petit déjeuner. Admettons quand même que la délicieuse impression d’horreur qui en résulte exhausse les souhaits formulés. A ceci il faut encore ajouter qu’aux éclairages somptueux qui égrènent leurs ombres frémissantes sur les parois éventrées du vaisseau répondent les excellentes prestations de la bande son ; la carlingue ronfle de murmures marins, la superstructure pousse le râle de ses nausées, les interstices du métal grouillent de ruminements inquiétants, des hurlements effroyables lacèrent les ténèbres, le vide de l’espace étouffe les déflagrations de vos armes… Du grand art ! La procédure de sauvegarde par borne, héritière d’un développement conjoint PC/consoles, même si elle aura naturellement tendance à dérouter les habitués de l’informatique ludique, convient pourtant parfaitement aux nécessités du genre. L’impression de précarité n’en est que plus suffocante. Evidemment, d’aucuns diront que la prise en main du système de visée à deux boutons est plus intuitive au pad qu’elle ne l’est à la souris [vous savez ce qui vous reste à faire]. Evidemment, la version PC exige un matériel de haute tenue [prévoir un processeur à 3Ghz, une carte graphique DirectX 9 armée de 256Mo de Ram et deux bons Gigas de mémoire centrale] pour obtenir une expérience de jeu quintessentielle, comparable aux versions consoles. Evidemment, l'intelligence artificielle profite du caractère primitif des créatures qu'elle anime pour dissimuler ses limites. Evidemment, en termes de design, les développeurs de
Dead Space ont copieusement emprunté aux deux
System Shock et le mémorialiste consciencieux sourira sans doute au passage lorsque le scénario l’amènera dans les serres désormais putrides du gigantesque vaisseau : souvenir de ses lointaines aventures au cœur de la Citadel de 1994. Evidemment, même en mode "Difficile", l’aventure ne court que sur une petite quinzaine d’heures. Evidemment, l’esprit chagrin pourra toujours arguer que
Dead Space ne fait pas dans la dentelle et que le titre d’
Electronic Arts a même tendance à thésauriser de manière outrancière sur le dos de ses illustres ainés… Tout cela est vrai et même plus que vrai, mais si l’originalité et la subtilité étaient toujours gages de qualité, monsieur Molineux n’aurait pondu que des chefs d’œuvres, non ?
NOTE marginale à l’adresse du mémorialiste suscité : les deux opus de la série
System Shock sont désormais disponibles en
abandonware sur internet. Si le premier titre réclamera un dépoussiérage en règle de vos connaissances en DOS [ah les joies de l’Himem.sys] et une sacrée dose de patience pour vous ré-acclimater aux conditions d’ergonomie qui étaient celles des jeux vers le milieu des années 90 [j’y ai personnellement rejoué, avec le même plaisir qu’hier, il y a de cela deux ans], le second titre, sorti à l’automne 98, a la bonne idée de fonctionner sous Windows XP et de jouir des travaux de mise au point opérés par une bande d’adulateurs acharnés : textures plus fines et refonte de la modélisation des créatures. Il serait de toute manière inexcusable de passer à côté de ces chefs d’œuvres là !