Si il parait impossible de prendre la parole sur
Crackdown sans abandonner quelques mots sur l'ogre
GTA, il est néanmoins d'usage d'insister sur les énormes différences qui objectent les deux titres, et qui, par la même occasion, les disposent dans des catégories bien distinctes. Il serait par exemple maladroit, voire limiteur, de définir
Crackdown comme un simple
GTA-Like, le titre de
Real Time Worlds s'efforçant justement via son gameplay, et son atmosphère générale, de ne pas concourir à cette catégorie. Du coup, il est évident que le soft ne prétend pas au titre de nouveau
GTA, et qu'ainsi, le percevoir comme tel ne peut qu'être infructueux pour le joueur, qui gâche en un instant et indéfiniment une expérience de jeu qui aurait pu s'annoncer excellente.
Bienvenue à l'Agence… Agent
Dans
Crackdown, on ne dirige non pas un super homme qui aurait acquit ses aptitudes surhumaines par une transformation génétique, ou une piqûre d'insecte, mais tout bonnement un cyborg, une bête machine de guerre, sans aucun état d'âme, ni personnalité, ni caractère, une coquille vide ornée de muscles pour ainsi dire. Et ce sentiment n'est que confirmé par l'apparence physique du protagoniste, changeante à volonté par le joueur dans le menu principal ; ce personnage, qui prend pourtant des allures de héros en revêtant le costume de sauveur, n'en reste pas moins qu'une vulgaire création d'un scientifique, qui n'a aucune valeur morale, c'est le paradoxe total. Peu d'ailleurs dans l'industrie ont tenté l'expérience, et un nombre encore plus restreint en on tiré quelque chose de bon, à l'heure ou tout héros de jeu vidéo se doit d'être profond et caricatural,
Crackdown, se voulant avant-gardiste, effectue l'opération contraire, et n'en devient que plus désuet. Le scénario général demeurant du coup dans le même sillage : une ville ravagée par les gangs, l'Agence - le fruit de la collaboration entre toutes les polices - qui reste impuissante, et un super agent, crée par un savant fou. Du palpitant, donc.
Etant le fruit de la convoitise de tous les chefs de gang, la ville de Pacific City, principale spectatrice de la montée en force de ce que nos politicards aiment appeler l'insécurité, a le mérite de s'étendre très abondamment sur ses trois îles. Le boulot effectué par les développeurs n'en devient que plus impressionnant ; la cité est vraiment grande, même si les premières minutes laissent présager le contraire, faute par exemple à un nombre assez restreint de routes, préférées aux voies aériennes ou champêtres. Ce qui a tendance à demeurer autant un avantage qu'un inconvénient : les toits des gratte-ciel, l'architecture des bâtiments, tout a été pensé et développé afin que le joueur se sente comme dans un terrain de jeu faramineux, et il n'est donc pas rare de trouver les hauteurs de la ville mieux agencés que les diverses chaussées de macadam. On notera par la même occasion le fait qu'aucun temps de chargement ne dérange l'avancée, et que le streaming du moteur graphique n'a véritablement rien à se reprocher, les textures n'arrivant jamais en retard. Sur ce point donc,
Crackdown fait la différence en optant clairement pour une progression dans le jeu plus "manuelle", qui implique plus le joueur sur un itinéraire d'ascension précis, et non des bêtes trajets à effectuer frénétiquement en véhicule.
Le petit bonhomme en mousse
Hésitant dans son scénario,
Crackdown ne donne pourtant pas l'impression d'avoir subi les foudres du bâclage, une fois le jeu lancé. La patte graphique très personnelle du titre, et son gameplay condensé au maximum laissent entrevoir une aventure saine, jouissive, et relativement aisée pour un amateur d'action nerveuse. Pourtant, si le gameplay est assurément abrégé pour plaire au maximum, le soft de
Real Time Worlds tire son épingle du jeu via son orientation typée RPG, cette dernière étant un des fondements majeur du titre. Pour faire simple, votre Agent dispose à sa création, de cinq facultés évolutives : l'agilité, la force, le maniement des armes, des explosifs, et l'habilité à la conduite. Chaque action que vous produirez aura un impact immédiat sur vos capacités surhumaines, tuer des ennemis avec des armes conventionnelles fera progresser la capacité en question. Certaines catégories requirent plus d'implication, comme la conduite ; qui n'évolue que lorsque vous écrasez des gangsters, ou que vous effectuez des défis précis (courses, cascades, succès…), ou l'agilité, qui demande un travail de recherche d'orbes vertes disséminées sur toute la carte. Bien sur, la progression aura un impact impressionnant sur le gameplay, grâce à différents "niveaux" de maîtrises (quatre au total), qui une fois palliés, décupleront la capacité boostée et provoqueront certains bonus, comme les véhicules de l'agences modifiés selon votre grade.
Le jeu étant relativement bien ficelé, il sera assez naturel de se bonifier à fur et à mesure du temps de jeu, et les développeurs l'ont bien compris. Ce qui n'empêche pas certains gangs d'être impossible à éliminer avec un trop faible niveau, ce qui pousse avec un certain brio à l'entraînement, et à la satisfaction de la réussite, surtout quand, comble du kitsch, votre Agent évolue physiquement en fonction de ses aptitudes. Malheureusement,
Crackdown n'est pas exempt de reproches fondés, le soft ayant même la fâcheuse manie de les accumuler. Premièrement, la répétitivité. Un joueur uniquement investi dans le dézinguage de gangsters pourra venir à bout du jeu en 2 heures à peines, non sans mal, mais c'est réalisable. Car, foncièrement, le jeu ne propose que ça : tuer, tuer, et tuer. Tout l'étalage de défis, de bonus, ou même la fonction d'évolution, peuvent être interprétés comme des "à-côté" de la trame principale qui ne repose que sur l'assassinat des chefs de gangs. Et le soft en prend un sacré coup. Deuxièmement, attardons-nous sur le système de malus de la progression, un défaut qui n'en est pas forcement un, car il fut sans doute mis en place pour réguler les folies du joueur lambda, mais qui agace considérablement en jouant. Il consiste à pénaliser l'Agent ayant commis des infractions, par exemple, tuer un civil fera chuter votre ascension dans le niveau des armes, en écraser un aura des répercussions sur votre conduite, ainsi de suite. Malheureusement, plus de 99% des pertes civiles sont accidentelles, ou causées par l'IA totalement approximative de ces badauds, qui n'hésitent pas à se jeter sous vos roues, d’où l'énervement.
Petits cons d'la dernière averse, vieux cons des neiges d'antan
Si
Crackdown n'excelle pas dans sa trame, loin d'être aussi scénarisée que n'importe quel
Grand Theft Auto, qui pourtant ne demeurent pas au panthéon des intrigues alambiquées mais jubilatoires, le soft édité par
Microsoft se laisse jouer avec aisance ; et ce manque qu'on pourrait juger dramatique ne s'établit pourtant pas comme une véritable déception, une fois le pad en mains. En fait, le scénario du jeu semble vraiment faire figure de trompe l'œil : rudimentaire, quasiment superfétatoire, mais présent, comme pour réguler cette envie incontrôlable qui pousse le joueur de
Crackdown à passer son temps à jouer au justicier complètement con. Qu'on soit hardcore gamer, obnubilé par le score, ou casual gamer, jouant pour le plaisir uniquement, on se retrouve tous à faire l'imbécile, tôt ou tard, comme à la douce période de la pré-puberté, criant des onomatopées, imitant Néo dans Matrix en sautant d'édifices en édifices, et chantant la tactique du gendarme avec l'accent Texan… On ressent fortement lors de l'expérience de jeu que le titre a été incontestablement conçu dans cette abord délirant, ou aucune réflexion métaphysique n'est prescrite, ou tous les éléments d'intrigue ou d'interprétation des protagonistes ont étés simplifiés au maximum pour ne privilégier qu'un bonheur de
jouer qui persiste dans l'amusement, un peu comme au bon vieux temps, ou un chef-d'œuvre se jugeait sur sa capacité à nous scotcher à l'écran, rien de plus…
Mais
Crackdown peut aussi se savourer à plusieurs via différents modes offrant une expérience de jeu en coopération, autant sur le Xbox Live qu'en multi-consoles, pour un plaisir qui s'en retrouve décuplé, tout comme l'art inépuisable de la connerie. Le vieil adage se prête donc parfaitement à la situation, car en effet, plus on est de fous, plus on rit : entre les courses et autres cascades foireuses improvisées dans les rues, les carnages au lance-roquette pour le plus grand malheur des badauds et des gangs, et tous les concepts biscornus que l'esprit tordu d'un être humain peut formuler, on en a vraiment pour son argent dans cet univers maculé de sang et de crimes. Les moins débauchés, pourront espérer de la coopération une avancée dans leur mode solo, étant donné que les deux restent indissociables : un de vos amis pourra par exemple vous rejoindre lorsque vous jouez seul, et vice versa. Autrement, dans une requête plus classique de partie multijoueurs, il sera possible de sélectionner les aptitudes que vous souhaitez retrouver chez votre futur collègue, ainsi que les gangs à éradiquer. Sympa. Finissons avec une autre touche sympathique, toujours dans ce mode coop, qui réside dans la gestion technique du jeu ; on ne compte quasiment aucun ralentissement sur le Live, le framerate subsite agréablement stable, y compris lorsque les deux agents se retrouvent aux deux extrémités de la carte, du tout bon en somme.
Un style, une ambiance : une atmosphère
Le gameplay s'avérant jouissif et allègrement bourrin, le scénario minimaliste, un mode coop prêchant des allures de
Destruction Derby, il ne manquait à
Crackdown qu'une réalisation estropiée de goûts, mais dans une optique impressionniste, pour en faire le jeu caricatural, voire archétypal de premier choix. Seulement, l'atmosphère du titre de
Real Time Worlds ne se cantonne pas à falsifier, ou bien calquer l'analogie des cadors du genre, au contraire, une des forces indéniables du soft se gîte dans une identité qui lui est propre, à caractère novateur et initiateur.
Crackdown ne se juge pas en nombre de polygones affichés ou dans son abondance de bump maping, mais bel et bien via son ambiance extrêmement recherchée, qui à elle seule suffit largement à contenter et rassasier n'importe quel gamer avide d'univers cohérents, de parfaites fusions entre la réalisation, et le gameplay d'un jeu vidéo. Je fais bien sûr allusion au cel-shading, technique inespérée transformatrice de softs sans âme en véritables conteneurs à émotions. Les premières minutes de jeu laissent pourtant indécis, on flaire comme un petit air de déjà-vu, on se lamente de la pauvreté de certaines textures, puis, en avançant, tout s'éclaircit ;
Crackdown, jadis interprété comme un titre next-gen insipide, se décide et s'impose doucement dans un style relativement proche des comics de Stan Lee par exemple, ce qui lui sied à la perfection.
Et cette orientation, indéniable continuité du gameplay, s'efforce de présenter un jeu toujours plus "décalé", dans un cadre spatio-temporel qui peut sembler extrêmement lointain, tout en s'inspirant d'éléments actuels, soit une démarche exactement semblable à celle des comics suscités. Donc, oui, le cel-shading de
Crackdown est une force, surtout lorsqu'elle est secondée avec maîtrise par un moteur graphique impressionnant, qui donne vie à quasiment tous les fantasmes de dévastation. En effet, tous les objets qui jonchent Pacific City peuvent être brisés, portés et lancés, de la benne à ordure, aux lampadaires, tout en passant par les véhicules et… les gens, ce qui accroît logiquement le sentiment de toute puissance déjà très ancré en filigrane dans le jeu. Les explosions, tirs et effets de lumières ont été eux aussi soignés au maximum, d'autant qu'ils sont gérés sans ralentissements majeurs, et la physique générale du soft se veut elle aussi fort convaincante : les voitures sont modélisées en profondeur, et toutes les parties détachables peuvent servir d'arme par la suite. Coté son, on s'égayera de l'abondance des titres audio disponibles, tandis que le joueur normalement constitué s'alarmera sur leur piteuse qualité ; rien n'est vraiment écoutable, et la musique glisse alors vers un rôle de fond sonore lors des balades en voiture, rien de plus. Autrement, la VF peut se targuer d'être de bonne facture, même si elle ne repose que sur un seul locuteur, un membre de l'Agence qui détient la lourde tache de vous tenir en laisse en vous réprimandant sur les valeurs éthiques de la vie. Un tutorial permanent en somme, mais vraiment bien pensé.